ÉTATS D'ÂME Santé mentale TEXTES DE LdT. x

Vivre avec la… maladie de Crohn – Chapitre 9 – Céder son siège

Les trois pots sont devant moi et je sais que j’ai une autre prescription qui m’attend à la pharmacie. Sur mon bras, il y a le pansement qui retient la boule de ouate qu’on appose après une prise de sang. Le récipient qui servira à mon échantillon de selles est encore dans mon sac, je dois le rapporter demain au laboratoire. En revenant de l’hôpital, dans le métro, je restais très sérieuse, concentrée, comme si j’avais un projet important à présenter, comme si je passais un test et que je n’avais qu’une seule cible en vue. Je commence le traitement samedi, on m’a bien prévenue que je ne pourrais rien faire le lendemain. J’ai invité une cousine à voir mes gencives tomber, mais elle est déjà occupée.

J’ai la maladie de Crohn. Un cas pas très grave, en théorie, mais malheureusement étendu, très étendu, tout le long de mon système digestif. Les médicaments qu’on prescrirait normalement pour un cas comme le mien ne seront pas efficaces pour des lésions si étalées, si bien qu’on sort le méthotrexate, avec son lot d’effets secondaires. Et ça me fout la chienne.

Ça me fout la chienne au point que je comprends pourquoi tant de malades se font avoir par les charlatans, les célébrités et les lifestyle gurus. J’aimerais vraiment que la solution soit dans le jus pressé et l’alignement des chacras, je paierais cher pour ça, même de l’argent que je n’ai pas. Je ne veux pas perdre mes cheveux, mes gencives, je ne veux pas avoir la nausée, être immunodéprimée, être infectée à presque rien, être photosensible, développer un cancer de la peau. J’ai pas envie d’être malade. Je veux prendre du thé «detox» et m’entourer de cristaux. Parce que la sœur du collègue de travail de mon voisin a guéri sa maladie de Crohn avec une alimentation alcaline et un lavement hebdomadaire.

Et je me croirais tellement badass, de braver le monde médical à coup de kale et de pensées positives, de HCLF ou de HFLC, je prendrais des suppléments homéopathiques et je me ferais traiter au reiki, parce que fuck off, Big Pharma. J’en parlerais à tout le monde, de comment je me sens tellement mieux en m’exposant tous les jours au soleil, avec ma méditation quotidienne et mon yoga… yoga quelque chose là, un yoga spécialisé, c’est certain, une fusion de yoga et de spiritualité orientale développée quelque part en Californie. J’aurais un compte Instagram et tous les jours je vous montrerais mon shake d’avocats et d’antioxydants. Parce que fuck off, Big Pharma.

Parce que j’aurais la chienne. Parce qu’au fond je serais terrorisée, tétanisée, pétrifiée, incapable d’accepter. D’accepter que je suis malade. Que c’est pas normal de chier 15 fois par jour ce qui semble être un mélange de goudron et d’aliments non digérés. Que je passe l’après-midi au lit avec l’impression qu’un truck vient de me rouler dessus. Encore et encore. Que des fois, j’ai tellement mal au ventre que je marche pliée en deux. Que j’arrive le soir au gym et que j’essaie de faire comme si tout allait bien, mais que je finis par pleurer dans un coin parce que j’ai mal et que je suis fatiguée. Tellement fatiguée. Tellement fatiguée. Et que tout le monde autour de moi est tellement tanné de me voir pleurer qu’ils ont juste hâte que je quitte la salle. Que je ne revienne plus jamais.

Et surtout, que ce qui est vraiment fucking badass, c’est de prendre mon métrotrexate. De voir mes cheveux tomber. D’avoir la nausée. De détruire mon système immunitaire. Et de faire tout ça parce que c’est la chose à faire, parce que je suis malade, et qu’y’a pas un superfruit au monde qui va changer ça. Que l’anecdote du cousin de la collègue de travail du gars à qui t’as parlé au parc à chien, c’est une pensée magique, c’est une licorne. Et je n’y crois pas, aux contes de fées.

Et c’est correct, j’ai jamais rien eu d’une princesse, je suis une machine de guerre. Avoir peur, ça veut juste dire qu’on est encore en vie. J’ai la chienne. Et quand, dans le métro en revenant de la clinique, avec mes quatre prescriptions encore dans mon sac et mon monde qui défile à la vitesse des lumières du tunnel, je vois une dame âgée entrer dans le wagon et tout le monde détourner le regard, je me lève pour lui céder mon siège. C’est la chose à faire, parce que je ne suis pas invalide: je suis une machine de guerre. Fucking badass. À force de se le répéter, on va le croire.

 

Lire aussi:

VIVRE AVEC LA DÉPRESSION – CHAPITRE 1 – METTRE LE PIED À TERRE
VIVRE AVEC LA DÉPRESSION – CHAPITRE 2 – FAIRE LE CAFÉ
VIVRE AVEC LA DÉPRESSION – CHAPITRE 3 – LIRE LE JOURNAL
VIVRE AVEC LA DÉPRESSION – CHAPITRE 4 – PRENDRE SA DOUCHE
VIVRE AVEC LA DÉPRESSION – CHAPITRE 5 – À SON GRILLE-PAIN!
VIVRE AVEC LA DÉPRESSION -CHAPITRE 6 – METTRE SON MANTEAU
VIVRE AVEC LA DÉPRESSION – CHAPITRE 7 – FRANCHIR LE CADRE DE PORTE
Vivre avec la dépression – Chapitre 8 – Un pied devant l’autre

 

 

 

LdT.

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Champagne & Confetti

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3 Comments

  1. Et si tu essayais les antispasmodiques – ici on a le  » spasfon » et ça ne fait que du bien
    Bises :)

  2. […] Vivre avec la dépression – Chapitre 9 – Céder son siège […]

  3. […] des allergies, des saisons qui se succèdent trop rapidement. Cette année, moi, j’en suis à compter mes pilules, à contempler les poignées de cheveux qui me restent dans les mains avec regret et fascination. À observer mon compte en banque se réduire à néant – pas qu’il […]

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