Ce chapitre s’intitule « prendre sa douche », mais soyons honnêtes, mes chers poussinots et poussinettes, se brosser les dents, ça devrait être en masse. Surtout que c’est la deuxième fois que je me retrouve à l’écrire parce que je ne le retrouve nulle part. L’horreur, quoi. La première version était sombre, je viens de passer deux semaines particulièrement pénibles. De ces journées où on a l’impression d’avoir pleuré jusqu’au soir sans jamais n’avoir versé une larme. Ou alors j’en ai versé dix mille. J’ai pleuré devant tout le monde, à grands sanglots, dans toutes les situations possibles et inimaginables. Je me suis décomposée sur le sol, un peu comme ma nièce de quatre ans le soir de Noël, parce qu’il était tard et qu’elle était fatiguée. Il était tard et j’étais fatiguée pendant deux semaines. Alors on dit « prendre sa douche », mais on se garde une option pour seulement se brosser les dents. Ça sera notre effort.
Faut penser à mettre des vêtements propres ou au moins pas trop sales, essayer d’avoir un peu de respect pour ces gens qu’on va croiser, parce que oui, ça va arriver, on va croiser des gens. Peut-être pas tout de suite, mais faut s’y préparer. Et le respect qu’on n’a pas pour soi-même, parce que je suis un déchet et que je suis tout juste bonne à me liquéfier en jus de poubelle, ce respect-là, on peut l’avoir pour les autres. Même si j’haïs tout le monde et que je les trouve insipides, je ne peux pas leur imposer mon statut de débris.
Je pourrais passer une heure sous la douche, tenter de repousser ce moment où je devrai m’habiller, mettre mon costume d’adulte. On voit une thématique, non? Repousser toujours l’entrée vers le monde extérieur, parce qu’on est si confortables à l’intérieur. Toujours aussi mal, mais personne à qui on doit le cacher. Quand je suis seule, je souffre, mais je souffre seule.
J’utilise un savon dont j’aime l’odeur. J’essaie de me raccrocher à n’importe quoi. Un savon, un nettoyant, une pierre ponce, un shampoing (on se lave rarement les cheveux, mais quand ça arrive, faut le faire bien). Je me paie un luxe d’un gel moussant acheté chez Sephora, parce que j’ai lu cet article du blogue où on nous explique comment ça marche, Sephora. Tant qu’à se faire avoir avec des cossins hors de prix, autant le faire bien. Alors j’empile cossin sur cossin, des trucs qui sentent bon et qui me garantissent un avenir plein de jeunesse radieuse.
Je repousse – encore – le moment où je devrai fermer le robinet; il fera froid. Il fera froid et je serai là, toute nue, dégoulinante d’huile de douche hydratante au karité dans une salle de bain embuée d’effluves d’agrumes. Grotesque. Un déchet, ça ne se lave pas. J’aurai froid. Puis viendra le rituel de sérums et crèmes de tout acabit, tous achetés chez Sephora.ca, je m’enduirai d’autant de substances qui ne dissimuleront rien, qui ne tromperont personne. Et la prochaine fois que je me décomposerai, que je me liquéfierai en public, sur le sol, comme un détritus méconnaissable, tous pourront cependant reconnaître des vestiges de Drunk Elephant ou de Sunday Riley s’écouler vers les égouts.
Vous vouliez que je vous dise que sous la douche on se purifie, qu’avec l’eau qui s’écoule, s’écoulent aussi la crasse mentale et les soucis de la veille? Eh bien, non. C’est probablement parce que vous n’êtes pas en dépression. On n’a aucun répit, aucun sursis. Au lieu d’utiliser l’Occitane, je pourrais utiliser ma propre marde et ça ne ferait aucune différence, sinon que de perdre mon statut de VIB Rouge. Alors des fois, vraiment, mieux vaut skipper la douche et seulement me brosser les dents, ça sera mon effort.
Lire aussi :
Vivre avec la dépression – Chapitre 1 – Mettre le pied à terre
Vivre avec la dépression – Chapitre 2 – Faire le café
Vivre avec la dépression – Chapitre 3 – Lire le journal
Pour lire la suite :
VIVRE AVEC LA DÉPRESSION – CHAPITRE 5 – À SON GRILLE-PAIN!
VIVRE AVEC LA DÉPRESSION – CHAPITRE 6 – METTRE SON MANTEAU
Vivre avec la dépression – Chapitre 7 – Franchir le cadre de porte
LdT.
Source photo : Unsplash