Champagne & Confetti

Mon trouble alimentaire

Il n’y a pas si longtemps, je n’osais pas en parler. Je n’acceptais pas cette partie de ma vie. Et surtout, j’avais peur de ne pas être acceptée, comprise. Jugée. C’est justement le jugement qui m’a emmenée là. Le jugement des autres, ou la perception que j’avais du jugement des autres, ou la perception de mon jugement, sur moi-même…

C’est complexe à expliquer. Y’a pas de raison spécifique ou de date précise au départ d’un trouble alimentaire. Je sais juste qu’un jour, comme beaucoup de personnes, je me suis mise à ne pas m’aimer. J’avais beau être maigre, j’avais beau avoir un poids santé (et moins), je n’aimais pas ce que je voyais. Je me comparais à toutes.

Je n’étais pas du style d’aller dans un gym. Le regard des autres m’a toujours fait faire des cauchemars, alors j’aurais fait de l’anxiété juste à y penser. Les autres auraient été si belles, si parfaites à mes côtés. Non.

Alors comme je dis, je ne me souviens pas quand ça a commencé. Probablement quand j’ai quitté la maison, à 18 ans, et quand mes parents ne pouvaient plus me «surveiller». Parce qu’on le sait, que y’a quelque chose de pas bien. On le sait, pis on ne le sait pas, et quand on s’en rend compte, il est déjà trop tard.

Alors j’ai commencé à moins me nourrir. Sauter un repas, et puis deux. Et puis j’ai réalisé que quand je travaillais, beaucoup, longtemps, ben je ne ressentais pas la faim. Alors j’étudiais le jour, je travaillais le soir. Je dînais. Je travaillais dans un bar, dans une petite région. Donc on n’était pas 4 serveuses. La fin de semaine, je débutais à 11h00 am et je finissais entre minuit et 3h00, selon l’achalandage. Je mangeais donc très peu.

Puis, j’ai fini mes études. J’ai repris une routine plus stable et la faim m’a repris… Je me suis alors trouvée (je ne sais pas si c’est apparu à moi, ou si j’ai cherché, je ne m’en souviens plus) des petites pilules. Ça coupait la faim, et ça me levait le cœur. Donc parfois, j’en étais malade. Je tiens à préciser que je ne souffrais pas de boulimie (bon je me défends), ce n’était pas volontaire… Du moins, pas consciemment.

Aujourd’hui, maintenant que je me sens mieux, je peux me souvenir de certains moments critiques. Un jour, en première année de Cégep, j’avais choisi le cours de conditionnement physique. L’entraîneur m’avait dit que j’avais un faible taux de gras pour ma grandeur, mon poids. Cette journée, où j’aurais dû être satisfaite de cette réponse… je ne le fus pas. Je me disais, qu’encore une fois, ce n’était pas parfait. J’étais prise entre l’envie de faire de la musculation, de m’entraîner, et la peur de devenir shapée, trop. Parce que du muscle, c’est lourd. Et en plus de l’apparence physique, ben le poids sur la balance m’a toujours effrayée. Comme le tour de pantalon… Les mausus de magasin qui changent de tailles, quand un small devient un large, ce n’est pas fait pour nous, le monde sensible…

Je ne recherche pas la perfection. Mais l’approbation des autres dans cette société comparative est difficile à gérer.

J’ai déjà dit à quel point ma famille aime se comparer les uns aux autres (ben oui, je suis sarcastique, on le fait sans penser aux impacts). Ben chaque fois qu’on me disait que j’avais maigri, genre dans un party de cabane à sucre, je me disais que j’avais raison de me priver, puisqu’avant, j’étais grosse.

Dernièrement, j’ai suivi une formation sur l’impact des mots, de la nutrition. La société. La société a un gros impact sur la mentalité de la génération future. Je suis née dans une société de changement, mais pas celle où les féministes sont dans les salles de conditionnement physique. Et si moi je l’ai trouvée dure, la compétition entre les autres et moi, je n’imagine pas celles de demain, mes sœurs qui vieillissent… Et je ne dis pas que c’est mal l’entraînement, au contraire, je dis juste que j’ai vécu mon secondaire à l’époque où seulement les hommes s’entraînaient, et que malgré tout, les femmes se comparaient.

Maintenant que j’ai 30 ans, je ne me compare plus aux nouvelles générations, au gym, quand je cours sur mon tapis roulant juste dans le but de me maintenir en forme, d’avoir un souffle, un rythme cardiaque moyen. Je ne m’entraîne pas dans la même mentalité que celle des fitness girls Instagram.

Et là, c’est la date où tu réalises que c’est un trouble. Que t’as un trouble. Vous savez, la maladie mentale, tu ne t’en remets jamais complètement. Ça ne disparaît pas, t’apprends juste à deal with it. Je ne me souviens pas de la journée où j’ai débuté à avoir ce trouble, mais je me souviens de la journée où j’ai décidé que c’était assez et que j’allais apprendre à me gérer. Parce que oui, je me gère. Je me gère dans une société où j’ai accepté que je ne serais pas parfaite. Où j’ai accepté que je ne serais pas un bodybuilder au gym, où j’allais manger des chips (ben oui, je suis une salée!). J’ai accepté que je ne serais probablement jamais satisfaite.

Et c’est là le plus dur. Parce qu’un jour, tu réalises que ce n’est pas un travail physique que t’as à faire, mais bien un travail psychologique. Quand t’as franchi ce pas-là, t’es déjà 100 pas à l’avant. Mais tu dois toucher le fond, tu dois te remonter, et ce trajet, il m’a pris 10 ans et probablement plus (parce que je ne sais pas quand il a commencé, et surtout, je ne crois pas qu’il soit fini).

J’accepte, aujourd’hui, de me confier, de me livrer, parce qu’on croit que les troubles alimentaires, c’est soit blanc ou noir. Qu’il n’y a pas de nuances. On essaie souvent d’émettre un diagnostic. Et si on ne se reconnaît pas dans l’une des catégories, ben on va bien. C’est faux. Quand je regarde mon parcours, je ne suis ni anorexique, ni boulimique, mais je peux affirmer, aujourd’hui, que j’ai un trouble alimentaire.

 

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R.

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