Jour 2 :
Premier matin dans ce nouveau monde. Vers 5 du matin, les coqs chantent, les chiens aboient, les chèvres beuglent, le soleil entre par les fenêtres. Il n’y a pas de vitre, pas de rideaux, que des moustiquaires. On se rendort un peu.
7h. Notre réveil à la Caya. Nous sommes seuls. On s’habille et on descend à l’auberge. Le déjeuner nous attend déjà. Peu avant 9h, les ouvriers arrivent. En réalité, je constate assez vite que ces gens font en quelque sorte partie de la famille. Ils sont là 6 jours par semaine. Et même si les clients se font rares, on garde leur horaire, on ne veut pas perdre ces travailleurs de confiance.
Au départ, je me sens coupable de ne pas faire mes repas, de ne pas faire ma vaisselle. Comme si nous étions dans un tout-inclus. Mais en quelque sorte, c’est grâce à ce quotidien qu’ils ont cet emploi. Les hommes s’occupent de toutes les tâches manuelles qu’on leur demande. Chaque jour est différent. Une certaine partie de moi n’aime pas penser au fait que nous «profitons» d’un peuple pauvre. Mais ils sont heureux d’être avec nous. D’être un membre de ce projet. D’avoir la certitude d’avoir une paie et 3 repas par jour inclus. Juste ce petit plus est un gros plus ici. Même s’ils n’ont peut-être rien d’autre à la maison, ils mangent bien ici. Et puis, ce n’est pas une villa où nous, blancs, s’assoyons à les regarder travailler. Je l’ai dit, ici aussi, on survit. Chacun met main à la pâte.
L’activité principale de notre visite est la pêche. Comme chacun se nourrit de son auto-suffisance, il faut pêcher. Petit inconvénient, le bateau n’est pas navigable. Premièrement, le moteur est chez le mécano depuis un bout. Il avait promis d’être prêt avant notre arrivée, dimanche. Deuxièmement, le zodiac est peu troué, le plancher magané. Pour passer le temps, on décide de le retaper du mieux qu’on peut, avec le peu de matériel et d’outils que nous avons. Au final, le résultat n’est pas si mal. Mais il manque toujours un moteur. Ce sera tout pour aujourd’hui, nous devrons aller au village pour le reste.
Jour 3 :
Sur la route entre Grand-Goâve et Ti-Goâve, il y a un camion en panne. Ici, lorsqu’on tombe en panne, il n’y a pas de dépanneuse qui vient t’aider dans l’heure qui suit. Si t’as de la chance, t’es sur le côté, mais si t’es en plein milieu, tu y restes et t’augmentes le trafic, c’est tout. Dans le premier scénario, tu trouves les pièces en quelques jours, et tu le répares là, sur place. Deuxième scénario: si t’as de l’argent, tu vas peut-être trouver quelqu’un pour le remorquer le temps que tu trouves les pièces (parce qu’ici, les pièces ne sont pas évidentes à trouver et si tu n’as pas acheté la voiture au concessionnaire du coin, ils ne te vendront pas les pièces). Dans le pire des cas, tu laisses tout simplement la voiture à l’abandon, tu prends les pièces qui te sont utiles, les autres se serviront également jusqu’à ce que la végétation l’ait engloutie.
Ti-Goâve. Similaire à Grand-Goâve. Une grande route, plein de marchands. Quelques rues perpendiculaires. On a quelques courses à faire: charger la carte Sim d’un cellulaire, payer les plaques et trouver une pièce de moto (qu’on ne trouvera jamais, après une dizaine d’arrêts).
Payer les plaques. Ça ne se fait pas tout électroniquement. On est sur une rue qui descend, puis, une grosse maison (qu’on pourrait penser une maison de riche dans ce secteur pauvre). Je ne sais pas si c’est une association gouvernementale. Ou si c’est le pouvoir de certaines personnes. Peu importe. Tu y vas. Tu donnes tes papiers. Parle, parle, jase, jase. Alors on laisse les papiers et faut repasser dans une heure ou deux, ou plus. On ne sait pas d’avance ce que ça va coûter. Ça dépend possiblement d’une multitude de facteurs.
Pour passer le temps, on va charger le cellulaire. Ah, j’avais presque oublié que c’est la Covid. Parce qu’ici, malgré l’hygiène qui laisse à désirer, les uns par-dessus les autres, la Covid est presque inexistante. Une dizaine de mille cas depuis 10 mois. Deux cents quelques décès. Les hôpitaux qui ont été conçus d’urgence en prévention d’une crise n’ont pas servi. Il n’y pas de masque nulle part jusqu’à présent, hormis à l’aéroport. Et maintenant, les institutions dites fédérales, dont les banques et les magasins de téléphones. Zut. On cherche dans le char et par chance, on trouve UN masque. Le chauffeur et moi, on attend dehors. C’est long, très long. Pourtant, on ne voit que peu de gens entrer et sortir.
Bon, pendant que je l’attends, vous allez me dire: «Ah oui, pas de cas en Haïti? Y’a pas de tests non plus?!». Bon, c’est vrai qu’il n’y a pas de «campagne» de dépistage comme au Québec. Alors c’est difficile de recenser les cas. Mais comme partout ailleurs, ils ont construit un gros hôpital dans le but d’accueillir les complications dues à la Covid. Cet hôpital n’a pas servi. Alors à moins que tout le monde ici a un bon système immunitaire et qu’ils ont tous bien combattu la Covid, ce qui n’est pas le cas, je suis certaine que les cas sont moindres.
Bon. Le cellulaire est chargé. On retourne aux plaques pour prendre les papiers pour payer. On arrête dans une dizaine de petits garages pour trouver la pièce de la moto, sans rien trouver. On retourne au bercail.
Demain, nous irons finalement en bateau, où la prochaine péripétie nous attendra.
À lire aussi: Haïti – Jour 1
R.
Source photos: Roselyne Malo-Harel