Mes parents ont été le premier amour de chacun. Nés dans un village bientôt devenu ville, ils se sont connus là, ont grandi là, ont vu naître leurs enfants là et ont vu le divorce éclater là. Je ne sais pas si on peut vraiment dire qu’il a éclaté.
Mon père, introverti qui manquait énormément de confiance en lui, a marié une tête plutôt forte et fière de l’être. Ma mère, éternelle insécure, a marié un homme stable qui, à l’époque, ignorait beaucoup de sa propre personnalité.
J’ai grandi dans un milieu stable, un milieu sans excès où il n’y a ni haine ni amour fou entre les parents. À un certain degré, ça m’a dérangé de ne jamais voir mes parents s’embrasser ou se dire des mots d’amour. Mais ce serait mentir de dire que j’aurais préféré voir les assiettes voler.
Tout le monde a des problèmes, des bibittes du passé, des familles élargies moyennement stables. On n’était pas les pires, ni les meilleurs. Comme dirait ma mère à l’époque: « Le gazon est pas plus vert chez le voisin. » C’est vrai qu’il ne l’était pas. En vérité, c’est difficile vivre dans une famille où il n’y a pas pire ailleurs.
Tout ça pour dire que mes parents étaient des amis. Un genre de couple où chacun était un bon parti pour élever des enfants. Pas d’amour avec un grand A. De l’amitié, du respect à un certain degré, de la fidélité pour sûre et un certain désir, variable d’un parent à l’autre, d’élever des enfants du mieux qu’ils le pouvaient.
Vite de même, rien à reprocher. Et en vérité, je ne reprocherai jamais plus rien, car j’ai compris beaucoup avec le temps.
En vieillissant, plusieurs choses peuvent arriver. On change, on évolue. Ça m’a fait peur de penser que mes parents n’étaient et n’allaient peut-être plus jamais être ceux que j’avais connus et que j’avais pensés qu’ils étaient. À l’aube de la soixantaine, réaliser pour la première fois de ta vie que tu vis dans l’ombre et que tu n’as jamais réalisé encore le 10% de qui tu pourrais être. Ça m’a donné la chienne quand mon père, entre deux sanglots, a tenté de m’expliquer qu’il n’était pas heureux.
Ça m’a donné la chienne de voir mon père aussi misérable devant la vie d’un inconnu qu’il avait construite, dont je faisais partie. C’est dur d’expliquer à quel point ça m’a terrorisée de réaliser que mon père, je ne le connaissais pas encore, comme lui-même d’ailleurs.
Je plains profondément ma mère de n’avoir pas réussi à comprendre sur le coup et pendant aussi longtemps. L’incompréhension fait mal.
Je plains mon père d’avoir passé autant d’années de sa vie à vivre sans réelle personnalité.
La faute à qui? La faute à la vie qui va vite, beaucoup trop vite. Qui ne donne pas le temps. Et nous, nous qui ne prenons pas assez le temps.
Encore aujourd’hui, les larmes viennent à chaque fois que je pose mon regard sur notre nouvelle réalité. Réalité qui devait finir par exister.
Je suis encore, plus d’un an plus tard, à l’étape d’assimilation. À essayer de trouver l’erreur à ne pas répéter. La réponse que je trouve pour le moment est d’essayer de s’écouter. D’aimer. D’avoir du respect, de la fierté pour la personne qui partage notre vie et surtout de prendre notre temps dans un monde qui ne nous le permet pas suffisamment.
Same.