Laissez-moi vous raconter une histoire: celle d’un navire. Un navire bien rôdé avec de belles grandes voiles, dirigé par le même marin depuis plusieurs belles années. Les deux se connaissaient comme leur fond de poche; le marin savait où ils s’en allaient, pis le bateau savait quand hisser les voiles.
Ils naviguaient donc depuis des années ensemble, à suivre le même itinéraire. Ils se rappelaient des fois leur début. Comment y’ont dû travailler fort pour en venir à une belle complicité de même. Ça n’avait pas été toujours facile, y’en avaient vu, des tempêtes pis des marées.
Un moment donné, le marin savait pu trop où tout ça l’emmenait. Il trouvait que les jours se ressemblaient, pis il commençait à trouver ça ennuyeux. Il se disait bien qu’il ne pouvait pas laisser son navire pour d’autres aventures. C’tait comme toute sa vie. Y’avait jamais rien connu d’autre. C’était impensable.
Mais le fardeau du quotidien devenait de plus en plus lourd sur les épaules du marin. Il rêvait vraiment de d’autres aventures. Mais il tenait à son bateau. Il y tenait, mais pas comme autrefois. Il était vraiment important pour lui, mais pas comme autrefois.
Le marin endurait donc ce poids sur ces épaules, au point où son dos se courbait. Il se disait qu’il prenait ce poids pour le bateau, car celui-ci, laissé à lui-même, finirait par périr, n’ayant personne pour le naviguer. Mais un jour, quand son dos lui fit si mal qu’il en avait le mal de vivre, il prit la décision de s’enfuir du navire. Pendant la nuit, quand ils s’étaient accostés sur la même rive que d’habitude, il s’en alla. Il s’en alla pour ce qu’il savait, allait être le mieux pour lui.
Au petit matin, le bateau se rendit bien compte que quelque chose s’était produit; le marin ne l’avait pas réveillé, alors qu’ils étaient supposés être partis depuis fort longtemps. Il n’en fut pas plus au navire pour comprendre que son marin était parti. Il ne reviendrait pas.
Y’avait pu personne pour s’occuper du bateau, il était là, laissé à lui-même, en train de lentement tomber en ruine. Les voiles déchiraient dans les tempêtes qui s’enfilaient. Les roches abîmaient la coque qui s’égratignait rapidement. Le bateau avait peur. Peur de rester seul pour traverser toutes ces tempêtes-là. Y’avait peur que sa vie s’arrête là, pis qu’il coule ici, sur le bord de la rive.
Au crépuscule, une autre tempête éclata. Le navire l’ignorait, mais celle-là allait tout changer. La corde retenant l’ancre se cassa, et le navire partit au gré des vagues, à la merci de celles-ci. Il assuma son sort; il ne s’en sortirait pas, il coulerait. Y’avait peur; les voiles se déchiraient encore, pis la coque n’était plus étanche. Y’avait peur de couler, pis que personne ne le trouve. Y’avait peur, mais il n’y pouvait rien. Fallait attendre que ça passe.
Au milieu de la tempête, le navire sentit la terre sous sa coque. Il s’y accrocha du mieux qu’il pouvait.
Les rayons de soleil fut la première chose qu’il sentit sur ses cordages. Ça l’apaisait; il avait survécu. Puis au loin, croyait-il rêver, il aperçu un jeune marin qui s’approchait. Ce marin-là, sous ses airs de dur à cuir, avait un cœur d’or. Il prit soin du navire, jour après jours. Il répara sa coque si abîmée, couda ses voiles déchirées et rafistola la corde de l’ancre brisée. Ça en a pris du temps au marin. Y’avait peur de partir à l’aventure avec ce navire-là! Y’était pas mal magané quand il l’avait trouvé. Mais maintenant, il se sentait prêt.
Il embarqua sur le navire, ouvrit les voiles, et parti vers de nouvelles aventures. Ce n’était pas aussi fluide qu’avec l’ancien marin au début. C’est normal, y’en faut du temps pour connaître un navire par cœur, comme le fond de sa poche.
Mais le navire, ce qu’il savait pas, c’est qu’il n’avait pas juste une façon de naviguer. Le marin lui montrait des nouvelles choses, tous les jours. Pis finalement, le navire comprit que cette rencontre allait changer sa vie; qu’il redécouvrirait le monde autrement.
Il découvrirait qu’il y avait d’autres itinéraires, pis que les jours ne se ressemblaient pas. Il découvrirait que parfois, la vie met des épreuves sur notre chemin, mais que c’est toujours pour le mieux. Il découvrirait que chaque moment mérite d’être vécu pleinement; tempête ou pas…
V.
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