Une journée ordinaire, comme les autres, depuis trop longtemps. J’errais dans ma propre vie. Circonstances exceptionnelles commandent parfois un laisser-aller sans attente. J’avais bien quelques projets en réserve, mais certes aucune idée de ce qui allait les chavirer.
Une porte s’est ouverte et je m’y suis glissée… un road trip vers l’inconnu. Un laisser-passer vers un nowhere. Rouler en direction d’un endroit commun, tomber dans un no man’s land où tout ce qui semble connu se métamorphose en intangible, en invisible, en imprévisible.
Je venais d’amorcer un tour guidé dans ma propre vie. Un de ces voyages tellement dépaysant qu’il devient inévitablement marquant. J’ai posé mes valises sans trop comprendre pourquoi ni comment j’étais arrivée là, mais savourant chaque moment. Comme si tout mon être avait compris avant ma tête qu’il était temps de faire une pause. De me retrouver, moi qui étais perdue dans le temps, dans l’espace et dans l’espoir. Prendre le temps de prendre le temps. Arrêter de m’étourdir la tête pour apprendre à m’épanouir doucement.
La neige s’était changée en eau, puis en gazon vert, en apportant avec elle mes trop nombreuses larmes. Les bourgeons se sont pointés le nez en même temps que je sentais la sève remonter en moi. Une sensation étrange. Comme un mélange de celle que j’avais aimé être et celle que je m’appliquais à vouloir redevenir. Un passé lointain mélangé à un désir intense de futur meilleur.
Expérimenter les choses du quotidien comme si on avait le nez dans un étal d’épices nouvelles. C’est fou comme le son du ressac de la mer peut émouvoir et stimuler tous les sens, même si on y a vécu toute sa vie. Soudainement, les odeurs de saumure portées par le vent sont différentes. Sentir les grains de sable s’écouler sous nos orteils. Goûter le plaisir à grandes bouchées. Ça doit ressembler à ça le bonheur.
Découvrir de nouvelles saveurs. Apprendre à apprécier la couleur du coucher de soleil qui donne à ma coupe un goût d’été. Être subjuguée par l’arôme du steak qui grésille sur la grille. Être assise sur la plage et les yeux au ciel, chercher où est mon père. Signe du destin ou espoir de vérité, voir une étoile filer vers le nord. On est parfois prêt à croire aux coïncidences pour se réconforter, pour continuer à avancer sans se dérober.
Observer la délicatesse des fleurs qui font leur apparition. Constater que le ciel étoilé repousse la noirceur de l’âme et du cœur autant que la chaleur du soleil peut nous frissonner jusqu’au plus creux du corps. Que la germination des futurs légumes peut également faire pousser une nouvelle vie dans sa tête. Jardiner autant la terre que le temps, la présence et l’état d’âme.
Apprécier de nouveaux genres musicaux, laisser courir mes doigts sur le piano comme si j’étais un maestro. Me contre-foutre des fausses notes et du manque de rythme. Chanter sans retenue, comme pour libérer cette énergie trop longtemps contenue, pour ne pas déranger, pour ne pas choquer.
Un voyage en terre connue pour découvrir qu’une inconnue s’était immiscée en moi. Avoir l’impression d’être à la maison, quand dans l’embrasure du regard, rien n’est familier, ni les murs, ni la maison, ni le paysage. Avec étonnement, se rencontrer comme pour une première fois. C’est comme voir dans un miroir. Apercevoir un reflet qui n’est pas le sien, mais quand même s’y reconnaître. Sentir que l’esprit entre en communion, que le corps se transcende. Avoir l’impression d’une irréalité, mais tout autant d’une certitude, d’une normalité. S’autoriser à retrouver l’enfant en soi. Rire à en avoir mal au ventre, laisser quelques larmes couler sans avoir à se cacher. Se coucher sur le gazon pour observer la forme des nuages ou guetter la station spatiale qui va passer. Rencontrer l’ado qui s’était éteinte. Inhaler les vapeurs du bonheur. S’engourdir le cerveau à grandes gorgées d’un nectar sucré. Ne plus m’en faire, être moi, là, comme je suis, à nue sans remords ou complexe.
Juste être celle que je suis. Moi! La Moi qui retrouve sa valeur. Découvrir que malgré les ans qui passent, on est une belle et une bonne personne. Reconnaître que rien n’arrive pour rien, qu’on ne comprend simplement pas toujours pourquoi ça nous arrive. Être tout simplement bien.
Je sais que je devrai rentrer chez moi, c’est inévitable. Une pause dans le temps. Une bulle feutrée dans un moment chronométré. Aussi parce que pour bien se connaître, si le voyage devient le véhicule, l’aboutissement s’avère toujours être le retour. La joie du voyage réside tout autant dans le parcours que dans le processus. À travers les voluptés de fumée des soirs de début d’été, de rires, de contemplation, une tristesse à peine voilée me force à anticiper le retour. Je ne sais pas où me mènera ce périple? Un Neverland sur l’avenir. Pourtant, je sais qu’au bout de ma tink à gaz, j’aurai retrouvé mon essence. Ce n’est pas un au revoir, ce n’est pas un adieu, c’est un à bientôt!
M.-C.
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