C’est connu, avoir des amis, c’est précieux! Il est vrai qu’on les compte sur les doigts d’une main. Ils vont et viennent au gré des événements, survivant à la distance et au temps… ou pas!
Alors que la vie a rudement mis à l’épreuve mon rapport à moi-même dans la dernière année, elle a aussi commencé à brasser mon rapport à autrui.
La pandémie a fait le reste.
Lors des périodes difficiles, certains ont été présents – même loin, d’autres moins ou pas du tout. Je n’ai pas nommé ma peine et j’ai laissé filer. Ça a fait partie du processus de dépouillement et de ma reconstruction: arrêter d’entretenir des relations à sens unique et vivre le moment présent avec ceux qui sont là. Ainsi, au cours des derniers mois, des liens se sont amenuisés en laissant place à d’autres, plus solides et volontaires.
What goes around comes around.
Puis, avec la fin précipitée d’un emploi qui a guillotiné des amitiés professionnelles que je croyais fortes, j’ai réduit volontairement mon carnet de contacts. Ceux qui m’ont témoigné un minimum de bienveillance sont restés. Les autres ont pris le bord des archives, direction filière des souvenirs plus ou moins heureux.
Même après cette cure minceur, même si forcément je me sens plus seule, je ne regrette rien. Ce silence me fait du bien plus que je ne l’aurais cru.
Puis est arrivée la Covid, vecteur de tous les débats, de toutes les chicanes de gérants d’estrade et de complotistes en devenir. Le malaise s’est vite installé entre moi et une portion lointaine de mes connaissances, surtout à travers les réseaux sociaux.
J’ai joyeusement découvert la fonction «désabonnement» et celle qui se nomme «prendre ses distances», curieuse chose en temps de distanciation sociale. En même temps, j’ai tenu à écouter avec le moins de jugement possible les questionnements et crises existentielles de mon entourage, avec beaucoup d’humilité et le plus d’ouverture dont je suis capable. Un juste retour du balancier qui fait du bien.
On dit aussi que c’est dans l’adversité que l’on sait qui sont nos véritables amis. Autant où j’ai su qui je voulais voir rester, j’ai pu identifier encore plus rapidement qui je voulais voir partir. Je ne pensais pas que ça me heurterait autant, que je me retrouverais déchirée entre des gens que j’estime, dont les croyances m’apparaissent soudainement discutables, même si elles s’expliquent par la période que nous traversons et qu’on a tout droit à son avis.
C’est un exercice difficile de ne pas condamner certaines opinions, de critiquer les choix et les valeurs des autres. Je m’y entraîne tous les jours. Misère que c’est confrontant! J’essaie d’adopter la neutralité, mais je ne réussis pas toujours, surtout devant le mépris, mais aussi lorsque je ne suis foncièrement pas d’accord.
Par exemple, je refuse catégoriquement de céder la place à la haine et la violence. Toute cette division, cette négativité ambiante qui plombe les choses… C’est vraiment difficile, comme mon réflexe premier est de tourner le tout en dérision.
La discussion ouverte et bienveillante, ça se passe moins bien en virtuel qu’en personne, surtout lorsque l’autre se défend à coups de statistiques dont les fondements sont parfois hypothétiques. Une petite farce et un GIF niaiseux, ça aide toujours à détendre l’atmosphère, non?
Je n’ai pas encore croisé en 3D ces gens que j’ai mis à l’écart virtuellement à leur insu. Est-ce que je vais les éviter, faire preuve de compassion ou carrément d’hypocrisie? En même temps, ils ressentent peut-être la même chose de leur côté. Au fond, ça m’arrangerait et j’aimerais être assez détachée pour les laisser partir. Vas-y, unfriend-moi! J’y travaille.
Au fur et à mesure du déconfinement et de la reprise de contacts, je constate à quel point je suis privilégiée côté amitié (entre autres). Je chéris le fait que certains soient dans ma vie depuis des lustres. Je m’ennuie profondément de plusieurs d’entre eux et ironiquement, c’est par les réseaux sociaux que nous restons connectés. Je préfère voir la beauté et la pertinence de l’outil que de le condamner même si ça veut dire que je dois parfois lire des commentaires qui me mettent hors de moi ou m’attristent. Il y a aussi ceux qui me font rire ou me réconcilient avec l’humanité. Ceux qui donnent de leurs nouvelles, partagent des petits moments de leurs vies ou des parcelles de leur créativité.
Faut croire que l’amitié a ses propres algorithmes, surtout en tant de pandémie. On se regroupe avec ceux et celles qui nous ressemblent et les résultats s’affinent avec le temps, jusqu’à réduire le cercle à une toute mini cellule, les publicités et la désinformation en moins!
J.
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