Le 20 septembre a marqué un anniversaire bien particulier pour moi.
Récemment, je pensais à cette date où j’ai mis le petit orteil en dehors de ma vie d’avant. Ce moment où je tirais sur le fil d’un foulard un peu croche avec des mailles inégales, en nœuds, plein des trous et des fils qui pendent. T’sais, quand tu continues à tricoter parce que ça paraît bien. Parce que l’habitude, parce qu’il faut.
J’en ai déjà parlé ici. Pour moi, c’était important d’arriver à cette date et de boucler la boucle une fois pour toutes.
Je me demandais comment je passerais cette journée. J’ai observé une minute de silence de douze heures, un hommage à mon besoin de tranquillité, de solitude réparatrice. Je me suis juste souvenue, comme pour faire un bilan.
Je me souviens être allée voir mon médecin sous la recommandation de mon psy, en cachette, sans trop l’avoir ébruité et en retenant mon souffle. D’en être ressortie avec un papier sur lequel était écrit mon âge avec 4 mots en majuscules sous un logo: épuisement professionnel et mental, comme imprimé au fer rouge.
J’ai le flash d’avoir roulé un peu les fenêtres ouvertes sur l’autoroute, comme pour provoquer le vent qui pourrait faire s’envoler le précieux document et le faire disparaître. Je me rappelle très bien m’être presque convaincue que je pourrais garder le secret. Après tout, personne n’était obligé de savoir. Je m’étais menti à moi-même depuis quelques mois déjà, alors je pouvais très bien mentir aux autres!
Je suis retournée au bureau et j’ai travaillé un bon 2 heures avant de dire quoi que ce soit à quiconque, en attendant mon supérieur immédiat. J’ai parlé avec une collègue et amie, en essayant de garder le barrage de mon cœur étanche. Je suis allée voir la responsable RH et ça m’a fait du bien. Une personne humaine qui avait vécu la même chose et qui m’a doucement rassurée. J’ai rangé un peu et ramassé quelques documents personnels, comme si je partais en vacances. Je savais quel collègue allait prendre le relais et comment il n’aimerait pas que mon bureau soit encombré. Si c’était à refaire, je le laisserais s’arranger avec le désordre, mais ça, c’est une autre histoire.
Quand mon patron est arrivé, je me rappelle d’avoir regardé principalement son tronc et ses jambes. J’étais incapable de le regarder en pleine face. J’avais honte de moi. Je me souviens qu’il m’ait souhaité du repos et qu’il ait ajouté qu’il n’était pas surpris de la nouvelle. Le coup de poignard classique qui fait tellement mal. J’ai été agacée par cette remarque au plus au haut point, tellement que je suis revenue trop tôt de mon congé, alors que j’étais encore un peu brisée.
Même si j’ai voulu être en parfait contrôle, j’ai laissé passer des indices de mon mal-être au bureau, qui m’insatisfaisait de plus en plus. J’ai nommé mes besoins et j’ai espéré qu’on me supplie de rester, parce que dans ma tête, je me serais sentie plus importante et surtout, nécessaire. Même si j’en faisais 3 fois trop au travail, je me suis sentie inutile. Je voulais faire autre chose, qu’on me laisse être plus créative, en vain.
Je me suis donc retrouvée épuisée de trop abattre de travail et à la fois de ne pas être assez vue et appréciée. Trop et pas assez en même temps. Comme un drain perpétuel d’insatisfaction qui se reflétait aussi dans ma vie de maman, de femme, d’amie. Ça m’a pris du temps à démêler ça et à comprendre que ce n’était pas que moi qui était inadéquate!
Y’a des jours où je suis parfaitement sereine avec mon parcours de la dernière année. J’ai enlevé des couches que j’ai laissé tomber, j’ai retrouvé d’autres parties de moi que j’avais oubliées. J’ai retrouvé mes cheveux frisés, comme si je m’étais défaite de mon costume corporatif de madame bien coiffée. J’assume aussi évidemment que je ne peux plus «performer» ma vie et c’est parfait comme ça.
D’autres jours, je suis irritable et insatisfaite et je me dis que je ne suis pas encore guérie. J’ai des petites rechutes de perfectionnisme et d’anticipation. Je revis des conversations et des situations dans ma tête, alors que je suis totalement consciente qu’on ne peut rien y changer.
Mais surtout, ces épisodes s’espacent de plus en plus et laissent place à d’autres périodes plus constructives, dans le moment présent.
J’ai donc passé cet anniversaire-là seule, en état de gratitude.
On dirait que j’avais besoin de revivre ce que je faisais dans les premiers jours de mon congé, c’est-à-dire me reposer, dormir, écouter… De me replonger, de me préparer à l’automne, comme pour hiverner. Je me sens encore vulnérable — je ne cesserai jamais de l’être et ne voudrai plus jamais le cacher. C’est un réel défi dans le contexte de pandémie que de pouvoir avoir du recul et de rester zen. Je sais que je ne suis pas la seule.
On ne le dira jamais assez, parler de sa santé mentale, de son anxiété ou de ses idées noires, c’est hyper important.
En ce temps de (re) confinement, c’est crucial.
J.