Pour ma fin de soirée, je me trouve au bar Le Record, en train d’épier toutes personnes qui mettent leurs pieds dans le cadre de la porte d’entrée. Pour le moment, j’ai compté quatre ou cinq hommes, tous d’âge mûr, clairement pas à ma disposition. Ils sirotent leur gin & tonique, en flattant leur grosse bague et en discutant bruyamment entre eux.
L’un d’eux se retourne vers moi:
«Hey la p’tite! Qu’est-ce que tu fais toute seule dans ton coin? On t’a posé un lapin?»
«Non, j’aime seulement apprécier ma solitude.»
«Viens donc t’asseoir avec nous autres, on te mangera pas.»
«C’est gentil, mais il faut que j’y aille.»
Je cale mon verre, je paie le serveur et je quitte le bar. Je marche sur la rue Saint-Hubert, en direction de l’intersection de la rue Jean-Talon. Je peine à placer mes pas de façon droite et verticale, dû à l’accumulation de la neige. Je garde en tête la courte discussion qui vient de se produire, avec un inconnu qui me jugeait seule dans mon coin. Il y a probablement plusieurs définitions à son commentaire, mais je ne sais pas laquelle choisir. Ai-je l’air d’être si seule? Est-ce que je transpire la pitié d’autrui? En cette journée du 14 février, probablement.
Je m’étais promis de ne faire aucune effigie à cette journée que je juge typiquement capitaliste. Je ne voulais pas garder de traces d’un ébranlement potentiel à une journée différente de ma routine quotidienne. J’ai violé ma propre loi, en voyant s’afficher sur mon IPhone: Téléchargement complété pour Tinder.
Déjà, il y a plusieurs étapes qui tendent vers mon envie d’annuler mon action. Dans la section «À propos de moi», je ne sais pas du tout quoi écrire, surtout en seulement cinq cent caractères. Est-ce que j’écris quelque chose? Ou rien? Sinon, quelles photos choisir? Pourquoi est-ce si compliqué?
Je swipe à gauche et à droite, comme si j’étais Keanu Reeves dans le film Matrix. Je ne peux pas m’empêcher de penser que ce doit être pour cette raison que certains ont un pouce plus gros que l’autre. C’est une faute biologique, je rigole. Quoi qu’il en soit, ça doit certainement entraîner les muscles de celui-ci.
Par manque d’attention ou d’intérêt, j’embarque dans la douche et laisse de côté mon téléphone cellulaire. Stupide application qui ne fonctionne même pas. Quinze minutes plus tard, après avoir enroulé une serviette à mon buste, plus d’une dizaine de notifications se sont données à cœur joie à polluer mon mur. «Vous avez un nouveau match». Ben coudonc’!
Il y a Brian, Valentino, Tomas, José, etc. Tous des noms qui me semblent familiers, mais aux visages inconnus. Tous sont venus à ma rencontre, probablement pour la même raison que moi: ne pas être seul à la journée de la Saint-Valentin. Quelques-uns entrent dans la catégorie de la conversation agréable. D’autres, dans la conversation ultra désagréable:
«Pas game de m’envoyer tes seins en pic. Come on, c’est la St-Valentin.»
«Hey babe, viens donc chez nous, j’suis tanné de me crosser tout seul.»
«En tout cas, j’te ferais pas mal à toi. T’habites où?»
«Aimes-tu la grosseur de ma queue?»
«Réponds-moi donc, j’te mangerai pas LOL.»
Ce type de comportements à mon égard m’a tout simplement enlevé la chance d’apprécier rien qu’un peu cette application dégoûtante. Dans la demi-seconde où je les ai aperçus, mon doigt n’a pas pu s’empêcher de me ruer vers le «Supprimer l’app». J’aurais dû m’en douter, bien sûr, mais j’avais envie de me laisser traîner par l’optimisme comme j’en avais auparavant.
En date du 14 février, comme prévu, je me trouve seule, dans mon lit, à regarder mon plafond. Il y a quelques années, j’ai rencontré un homme sur cette même application, et j’ai toujours gardé son numéro, en cas d’urgence comme celle-ci.
«Salut Vincent! Ça va? Écoute, je sais qu’on s’est rencontré sur Tinder et qu’on n’a rien de concret, mais j’aimerais ça que tu passes chez moi ce soir. On pourrait se faire une baise ou deux et fumer des clopes sur mon balcon. Tu partiras après si tu le souhaites. À tantôt.»
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Alx.
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