ÉTATS D'ÂME STYLE DE VIE TEXTES DE J. x

Se languir… des autres

Il a récemment beaucoup été question du fameux concept du languishing— ou le languissement, en traduction libre. Tel qu’expliqué dans un article d’Adam Grant paru dans le New York Times en avril, il y est question de notre état d’esprit covidien de personnes en état de stagnation — pas déprimées, mais pas trop enthousiastes — qui passent à travers leurs journées et leurs semaines sans trop de motivation.  Le «Meh»!

J’ai lu cet article avec un intérêt, mais aussi un peu d’agacement. J’y ai réfléchi longtemps parce qu’il n’a pas suscité chez moi le même enthousiasme qu’il semble avoir eu dans mon entourage. Je comprends qu’à sa lecture, ainsi qu’en lisant les nombreux autres chroniques et billets qui en ont fait mention, les gens s’y soient identifiés en s’exclamant que c’était en plein ce qu’ils vivaient.

J’ai mis quelques jours à comprendre l’origine de ce qui me titillait: je cherchais le positif dans tout ça, ne serait-ce que pour rejoindre les gens qui, comme moi, vont relativement bien.

Depuis le début de la pandémie, mon algorithme social personnel fait en sorte que je m’éloigne furtivement d’à peu près tout ce qui est négatif, lourd et drainant, parfois sans m’en rendre compte. Le cercle s’est pas mal agrandi, au fil des semaines, me laissant parfois pas mal seule au milieu des ondes néfastes dont je me protège.

Je ne blâme personne d’autre que moi pour cet état de fait. Je suis une personne qui déteste les conflits et qui a tendance à chercher le consensus le plus possible, quitte à éviter des sujets sensibles. Et des sujets sensibles, il y en a en masse depuis les 14 derniers mois.

En réfléchissant à cet article, je me suis rendu compte d’à quel point j’étais distante au point où je n’ai pas vu passer l’hiver, fait assez rare. J’étais occupée, tout simplement. C’est étrange d’être occupée autant sinon plus que quand j’avais une vie sociale extérieure bien remplie. Je m’ennuie des amis, mais pas tout le temps et pas de la même façon lancinante que plusieurs décrivent. Ça m’aura servi de vouloir me protéger, je suppose.

Pas que j’invalide les problèmes et les difficultés des autres, au contraire. Y’a des appels à l’aide et des malheurs qui me rendent triste et impuissante. J’ai bien compris qu’on vit tous un peu le même désert, mais à différents niveaux, dans différentes strates. Si loin, si proches.

Après tout, si je me manifeste moins, c’est la même chose pour les autres humains autour. Si j’ai espacé les rendez-vous virtuels, il n’y a pas grand monde, en retour, qui s’en est offusqué ou qui les a réclamés. On dirait que nous nous en sommes tous lassés un peu en même temps, à l’unisson. C’est sans doute là le danger, pour ceux et celles qui vont moins bien. Il reste entre nous une ficelle, un lien qui nous unit, mais c’est parfois bien mince.  Et la solitude pèse lourd.

L’auteur de l’article parle de flow pour expliquer ce qui fait que certaines personnes sont moins affectées que d’autres à divers moments. Je me suis lancée dans le fait de m’occuper de ma tribu, m’investir dans des projets qui me plaisaient vraiment, qui me motivaient. Ma vie a tellement changé dans les derniers 18 mois, que j’ai peut-être intégré le mood covidien autrement que la portion de la population qui en souffre.

Un autre article est paru dans le même journal d’une autre auteure, Dani Blum, il y a quelques jours.  Elle y traite du concept de flourishing, un peu comme une solution ou une réponse au languissement. Comme dans s’épanouir, prospérer, se développer. Elle y énumère des actions concrètes qui sont certainement aidantes pour se prémunir du sentiment de languissement ambiant.

Célébrer les petites choses et les savourer, créer des moments de gratitude, faire des bonnes actions, rechercher un sentiment de communauté et de connexion, trouver du sens à la routine quotidienne, essayer quelque chose de nouveau.

C’est en plein ce que j’ai fait: j’ai pris le temps de m’occuper… de moi et aussi des autres, en m’impliquant dans différents projets. Le fait de me placer dans l’action m’a aidée à maintenir et surtout consolider mon bien-être, sans trop m’en rendre compte. C’est ça, je suppose, le flow.

Comme tout le monde, j’ai aussi des périodes où je suis incapable de me concentrer et où je perds l’intérêt. Je suis à l’écoute. Je trouve d’autres tâches ou mieux, je ne fais juste… rien! Jamais je ne me suis permis autant de ne rien faire sans me culpabiliser! Un soulagement réel dans ma vie de mère, de femme.

J’entends plusieurs personnes dire qu’elles n’ont rien à raconter parce que leur vie est plate et répétitive, monotone. Je les comprends. Si ma vie est routinière et, ma foi, assez casanière, j’ai choisi de voir dans ça ce qui me plaît de la routine, d’en voir le côté rassurant et de nourrir mon flow en découvrant des nouvelles choses ou en me consacrant à des projets que je n’avais jamais le temps de faire.

Peut-être aussi que c’est la connotation négative de type «personne désespérée» du languissement qui m’attriste. C’est sans doute un désespoir plus ou moins généralisé et à géométrie variable qui afflige le monde. Alors, je refuse de me laisser contaminer. Du moins pas tout le temps. Puis des fois, c’est moi qui contamine le monde, parce que je passe un moins bon moment. Et puis, c’est correct aussi!

Dans le dictionnaire d’Antidote, le champ lexical du verbe languir, c’est l’amour. Oui, il y a cette notion de temps qui passe lentement, mais il n’y a-t-il pas aussi une forme de sentiment qui s’avère lumineux si on le prend dans le sens littéral?

Avoir du temps pour soi, se l’approprier, en avoir trop, s’ennuyer. C’est là, je pense, où le bât blesse le plus: on s’ennuie de notre monde, de nos amis et de nos familles. C’est leur amour qui nous manque.  Mais dans l’amour qui se languit, il y a l’attente et l’espoir de se retrouver. Il y a le fait que ça sera sans doute mémorable quand la normalité reviendra dans nos vies.

 

À lire aussi: Comment cette tragédie mondiale m’a fait grandir

 

 

J.

Crédit photo : Image par Ayank de Pixabay

 

 

 

 

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