Nous nous rencontrons tous les mardis au même endroit depuis des mois. Il m’attend patiemment et n’hésite pas à m’appeler si j’ai du retard pour s’assurer que notre rendez-vous tient toujours et que je vais bien. Il est de la «vieille école». Nous sommes proches comme ça lui et moi et même si ce n’est pas très protocolaire… ça me plaît bien.
Il me reçoit dans une petite pièce surchauffée avec un fauteuil confortable où je m’installe et où il passe une heure à m’écouter. La chaleur de la pièce m’oblige à enlever des couches de vêtements, des couches de mon âme, déposer mes bagages ainsi que ce masque qui me pèse tant parfois. Il me reçoit avec chaleur et bienveillance, mais derrière ses bonnes intentions, il dissimule difficilement la joie qu’il a de me revoir. Il faut croire que je suis une patiente qui sort de l’ordinaire, que mon parcours de vie est plus trépidant que d’écouter des couples s’engueuler pour des histoires de vaisselle mal rangée ou de lunettes de toilettes pas baissées.
Il commence généralement par me demander comment se sont passés les derniers jours, il me fait un résumé de ses gribouillis de la dernière séance, de ce qu’il a constaté, de ce qui ressort de nos échanges, mettant en lumière de plus en plus l’être complexe que je suis. Il m’écoute, partage, rigole, m’appelle parfois madame même si je n’aime pas cela, s’excuse de me brusquer quand c’est le cas, partage encore cette fois-ci un peu plus de son quotidien à lui… fait des conclusions sur le mien, me lit avec une grande justesse.
Cet homme-là me saisit dans toute ma complexité et se laisse attendrir par ma peine, ma détresse, mais aussi cette rage de vivre qui m’habite.
Cet homme-là a cette habileté de toujours me ramener à la femme que je suis: parfois seule, enjouée, triste, abandonnée, obstinée, résignée, très consciente de ses enjeux de vie et de ce qui m’amène à passer une heure par semaine en sa compagnie. Ses mots sont justes et lors de nos rencontres hebdomadaires, je me sens accueillie, vue, encouragée, considérée.
Cet homme-là voit en moi ce qu’il y a de plus beau et réussit à me le partager, à me le faire toucher pendant un petit moment, à y croire. Il me supporte, m’aide à me découvrir, m’aide à faire des liens sur la façon dont je vis ma vie depuis si longtemps, à comprendre les stigmates d’une enfance toute sauf ordinaire, le désir d’émancipation qui m’habitait déjà si jeune, pourquoi je me sabote autant et que mes relations sont si douloureuses. Dès le départ, ce qui m’a frappé chez lui et qui explique que je le vois encore, c’est sa bienveillance. Une gentillesse, une écoute, une compréhension, une réelle empathie, ce désir tellement investi d’aider ses patients.
Cet homme-là croit en l’humain et ce qu’il a de plus beau. Il s’est donné une mission et l’accomplit tant bien que mal avec beaucoup de conviction. Lors de nos rencontres, je pense beaucoup à mon père, il est en fait très souvent présent avec nous. Mon père était thérapeute… ce genre de thérapeute pour qui le désir d’aider l’autre devient presque obsessif. Ce n’est plus un simple thérapeute mais un thérapeute en «mission».
Mais cet homme-là, bien qu’il le pourrait, n’est pas mon père et il n’est pas ici question de transfert. C’est un gentil inconnu qui me tend la main pour que nous fassions un bout de chemin ensemble le temps que je me sente mieux.
Cet homme-là n’est pas une béquille ni une soupape non plus. Cet homme-là est un baume dans ma vie et même si je ne sais pas combien de temps encore nos rencontres dureront, elles me font du bien. Certaines vont chez le coiffeur ou au spa pour se sentir mieux… moi, je vais chez le psy.
E.
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