Parce qu’au moment d’écrire ces lignes, il est 6h du matin et que je n’arrive pas à dormir, pis j’ai le cœur gros. Allons-y dans l’exagération, j’ai le cœur gros comme ce qui s’est passé dans ma petite personne, gros comme mon petit monde.
Parce qu’en fait, je ne pensais jamais que ça puisse arriver. Faut dire qu’en grandissant littéralement ensemble, t’étais pas mal mon petit monde. On s’entend qu’en 10 ans, ce petit monde-là était bien équilibré, y’était douillet, pis on le connaissait comme le fond de nos poches. Pis d’un coup, du jour au lendemain, ça existait pu, notre monde. Une catastrophe inimaginable venait d’arriver : Hiroshima avait pété drette à bonne place; il restait pu rien. Le monde allait virer au « Je » pis au « Tu ». « Nous » était mort.
Ce que j’aurais aimé savoir avant que ça se produise, c’est combien les premiers jours sont difficiles. Pour vrai, personne n’est préparé pour ce genre de douleur. J’ai découvert des émotions qui n’existaient même pas. J’ai eu des pensées que j’avais jamais eues avant. Personne est prêt pour ça, personne. Même pas le plus courageux et le mieux protégé des fantassins.
Chaque minute sans toi était vide, si bien remplie de ton absence. Tout ce que j’avais connu pendant les 10 dernières années, c’était nous. Comment c’est possible de vivre sans la personne avec qui tu as littéralement tout vécu? On s’entend que quand on se met en couple aussi jeunes, on a vraiment tout, tout, tout vécu ensemble. T’étais comme MA personne. Pis les premiers temps, je faisais juste penser à ça, aux 10 ans qu’on a vécus, à tout ce que je t’ai donné, à tout ce que j’ai fait pour toi. À combien je me sentais trahie que tu aies décidé d’arrêter ça là. À combien tu m’as fait si mal quand j’ai su que tu étais déjà passé à autre chose.
Comment, pour la première fois de ma vie, j’allais devoir vivre au « Je »? Ça me semblait vraiment impossible. Les premiers jours, j’aurais vraiment été prête à tout faire pour que tu m’aimes à nouveau. J’aurais tout fait pour arrêter d’avoir mal, pour arrêter de brûler de l’intérieur. Pis, finalement, les heures pis les jours passent. Chaque jour, je pleurais de moins en moins, pis le feu devenait tranquillement de la braise.
J’aurais aimé savoir qu’avec le temps, lentement mais surement, mes brûlures cicatriseraient. Parce que pour vrai, les premiers jours, je pensais vraiment que ma vie s’arrêtait là, que je mourrais de peine.
J’aurais aimé savoir qu’avec le temps, je découvrirais que je voyais peut-être « Nous » avec des lunettes roses. Que finalement, c’tait pas si douillet que ça. Pis que la phrase quétaine que tout le monde me disait : « Le temps arrange bien des choses » était peut-être pas pire vraie, finalement. Pour la première fois, vivre et penser au « Je » devenait envisageable. Pour la première fois, j’ai fait des choses pour moi, sans me demander si tu allais être d’accord. J’sais pas, mais je trouvais ça libérateur, finalement.
J’aurais aimé savoir que dans le fond, quand on est en couple depuis si longtemps, on met vraiment le « Je » de côté. On pense toujours en fonction de l’autre, en pelletant toujours un peu plus de « Je » dans le placard. J’aurais aimé savoir que finalement, c’est plaisant de me retrouver, de me redécouvrir en tant que « Moi ». Parce qu’on s’entend que la personne que j’étais pis la personne que je deviens est totalement différente, je deviens une personne à part entière.
J’aurais aimé savoir que la phrase : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » est vraie, elle aussi. Pour la première fois, je me sens forte là-dedans. Pour la première fois, j’ai envie de croire Billy Joe quand il dit : « It’s something unpredictable, but in the end it’s right« . Je me sens prête à accomplir haut et fort tout ce que j’avais pelleté dans le placard. Pour la première fois, je réussis à me dire que j’ai un bel avenir devant moi, un avenir rempli de découvertes, de voyages, d’aventures. Tout ce que je me retenais de faire pour toi. Pis c’est tellement motivant et enivrant tout ça en fin de compte.
Pour la première fois, je me sens prête à envisager l’avenir avec la seule et unique personne qui m’aimera toujours et qui mérite vraiment que je m’investisse : Moi.
V.
Source photo : Unsplash